Après Joelle Wintrebert (2006), Mélanie Fazi (2015), Sabrina Calvo (2020) et Sylvie Denis (2021), Catherine Dufour entre (enfin) dans le cercle très fermé des autrices françaises panthéonisées dans le temple des Mondes Imaginaires qu'est la revue Bifrost.
Outre les rubriques habituelles, à savoir : l'édito du boss, le cahier des critiques encore bien fourni (qui me conforte dans mes choix de lire ou pas certains romans !), un petit détour par les dernières anthologies publiées, la parole donnée à Pascal Blanché l'illustre illustrateur, un Scientifiction qui revient sur l'ingénierie climatique, les infos du milieu, ce numéro de Bifrost vaut surtout pour le dossier consacré à Catherine Dufour. Sans oublier les quatre nouvelles signées Catherine Dufour, Mélanie Fazi, Ray Nayler et Ken Liu.
Autrice d'une dizaine de romans, de quelques essais dont le remarquable Ada où la beauté des nombres, biographie d'Ada Lovelace, et de plus de soixante-dix nouvelles, Catherine Dufour a fait un beau bout de chemin dans la littérature en un quart de siècle. Le dossier revient sur l'ensemble de son œuvre et celle-ci est protéiforme mais de qualité. Mais Catherine Dufour est aussi et surtout une femme de convictions qui va droit au but, quitte à brusquer un peu (beaucoup) le monde autour d'elle. Et c'est dans une très longue interview que l'on découvre cette militante, cette femme d'action qui essaie à son niveau de changer les choses. Pertinente, intelligente, souvent drôle et parfois cruelle, Catherine Dufour se livre comme rarement à travers une trentaine de pages, abordant de multiples sujets aussi sérieux que futiles mais toujours avec cette sensibilité qui la caractérise.
- Les Noumènes Urbains - Catherine Dufour
Avec cette nouvelle, Catherine Dufour, revient dans l'univers de son dernier roman Les Champs de la Lune mais au sein d'une autre Cité Soulunaire, celle de Samuzette. Deux corps sans vie sont retrouvés non loin de la cité, à moitié enfouis dans le régolite lunaire. Qui sont-ils, pourquoi sont-ils là et depuis combien de temps ? Zsuzanna Kisz, 84 ans, lieutenante de la brigade judiciaire de la Cité, enquête sur ce mystère.
On retrouve dans ce court texte la même poésie, la même mélancolie et la même douceur que dans le roman mais également la dureté de la vie lunaire et la cruauté de l'être humain. A travers cette petite énigme sélénite Catherine Dufour déploie tout son talent pour nous décrire une très belle histoire. Ne nous reste plus à espérer que l'autrice poursuive son exploration des Cités Soulunaires.
- La Zone - Ray Nayler
Ces trois dernières années, Ray Nayler truste les pages de Bifrost. La Zone est en effet la cinquième nouvelle à paraître au sein de la revue. Si l'on ajoute son recueil de nouvelles Protectorats et son premier roman La Montagne dans la Mer, on peut supposer que l'auteur est apprécié chez les Béliaux, tout comme chez les lecteurs de SF.
Dans un futur technologique, les camions parcourent les routes en autonomie totale et sont surveillés par des techniciens coincés dans des conteneurs. Quand l'un des camions de Sal a une avarie, une lumière rouge apparait sur son écran, à elle de se débrouiller avec les diags, drones et autres technologies pour résoudre la panne le plus rapidement possible. Une fois la cause de celle-ci identifiée, Sal se retrouvera face à un choix cornélien...
Critique acerbe du rendement à tout prix, cette nouvelle démontre à quel point l'humain est aussi remplaçable qu'insignifiant face à la productivité et aux résultats. Texte aussi cynique que magnifique !
- Les Nuits du Vertigo - Mélanie Fazi
En 2015, Bifrost a consacré l'un de ses numéros à Mélanie Fazi. L'occasion de découvrir l'autrice grâce au dossier qui lui était consacré et de lire La Clé de Manderley, sa seule nouvelle publiée dans la revue jusqu'à ce jour. Les Nuits du Vertigo est donc la seconde.
Les Nuits de Vertigo est une nouvelle fantastique ou celui-ci s'impose tout doucement au fil des pages. Notre narrateur ouvre, pour la première fois, les portes du Vertigo, un cabaret très réputé où les différents numéros dépassent la simple étrangeté...
Dès les premières lignes, par son écriture acérée, l'autrice nous plonge dans les tréfonds du Vertigo, décrivant une atmosphère aussi envoûtante qu'étrange. Et c'est surtout cette ambiance, cette immersion dans le monde de la nuit que nous retiendrons.
- La Symphonie des Horloges - Ken Liu
Ken Liu est une figure incontournable du Bélial. Quelques nouvelles dans Bifrost, deux recueils dans la collection Quarante-Deux (La Ménagerie de Papier et Jardins de Poussière), et trois novellas Une-Heure-Lumière, et la quatrième arrive ce mois-ci mais en attendant on peut déguster La Symphonie des Horloges.
La Symphonie des Horloges est un texte assez particulier : un mix entre nouvelle et essai où l'auteur amène une réflexion sur le temps. Ce temps qui nous semble si immuable, l'est si l'on parle de seconde atomique, mais est très fluctuant selon celui ou celle qui le perçoit, le lieu où l'on se trouve et les moyens mis en œuvre pour le mesurer.
En moins de vingt pages, à travers des faits réels et des histoires imaginaires, Ken Liu nous transporte dans la galaxie et nous interroge sur notre propre existence. Lu en quelques secondes, ce texte nous fait réfléchir pour l'éternité.
Pour la douzième année consécutive, les abonné.e.s de la revue ont la possibilité d'élire les meilleures nouvelles francophones et étrangères parues durant l'année écoulée. Dans chaque catégorie, huit textes concourent.
Pour la nouvelle francophone, mon choix aurait pu s'arrêter sur Renaissance de Jean-Marc Ligny ou Les Objets savent de Jean-Claude Dunyach. Mais encore une fois, mon vote ira à Audrey Pleynet pour Rayée, un texte sombre et poétique maitrisé de bout en bout.
Pour la nouvelle francophone, mon choix aurait pu s'arrêter sur Renaissance de Jean-Marc Ligny ou Les Objets savent de Jean-Claude Dunyach. Mais encore une fois, mon vote ira à Audrey Pleynet pour Rayée, un texte sombre et poétique maitrisé de bout en bout.
Pour la nouvelle étrangère, entre Egan, Reynolds, Banks, Nayler et Liu, cinq piliers de la SF moderne, le choix s'annonçait difficile surtout que les textes de Gilman et MacLeod valaient aussi le détour. C'est donc le thème abordé qui a fait la difference. A ce jeu Ken Liu et sa réflexion temporelle l'emportent.
Ce Bifrost dans la Yozone, chez le Dragon Galactique
Commentaires
Enregistrer un commentaire