L'équateur d'Einstein - Liu Cixin

Loin, très loin, trop loin !

Les Editions Actes Sud continuent de nous proposer l'ensemble des œuvres de Liu Cixin. Après la trilogie du Problème à trois corps, le roman Boule de Foudre et la novella Terre errante, l'éditeur arlésien publie une intégrale des nouvelles de l'auteur chinois en deux tomes. L'équation d'Einstein, le premier opus se compose de dix-sept textes, de la courte nouvelle à la novella. A noter que Gwenaël Gaffric a réalisé la plupart des traductions et révisé celles qui n'étaient pas de lui.

Liu Cixin est avant tout un scientifique, un passionné de l'exploration et des découvertes. La majorité de ses textes fait appel aux hommes de sciences (malheureusement les femmes sont largement oubliées voire inexistantes dans ses récits). Les ingénieurs (et les militaires !) sont les héros, ce sont eux qui sauvent le monde. La Science passe avant tout, avant les sentiments, avant la famille. L'auteur montre un immense respect aux hommes qui travaillent la Terre, qui souffrent pour subvenir au besoin des autres. Seules les traditions ancestrales se disputent au modernisme.

Ce volume regroupe les premiers textes de l'auteur (présentés dans l'ordre chronologique). L'évolution de l'écriture et le traitement des personnages s'améliorent au fil du temps et assez rapidement le Sense of Wonder tant recherché par le lecteur de SF arrive. Liu Cixin émerveille souvent, manipulant les concepts physiques avec malice et magie, les poussant cependant parfois au-delà du raisonnable. Mais l'auteur n'oublie pas d'être poétique et quand il marie cette poésie à la science le résultat est souvent somptueux et enivrant.

Petit tour d'horizon des dix-sept textes :

Le recueil commence avec Le chant de la baleine. Liu Cixin réécrit l'histoire de Pinocchio quand celui-ci est avalé par une baleine. Le but et le dénouement y sont bien différents mais la référence est explicite et la morale tristement savoureuse. Anecdotique mais sympathique.

Aux confins du microscopique, très court, est un hommage à Arthur C. Clarke. Peux t'on casser un quark ? C'est la question à laquelle va essayer de répondre une équipe internationale lors d'une expérience au coeur d'un accélérateur de particules. Les prémices du Sense of Wonder que l'on aime tant prendra tout son sens dans L'effrondrement, un récit autour de l'espace temps, de la dilatation et de l'effondrement de l'univers. Majestueux et grandiose. 

S'en suit Avec ses yeux, une nouvelle préalablement publiée dans la revue Bifrost du Bélial. Un texte poétique, un hymne à la beauté du monde.

Le feu de la Terre, le premier long texte du recueil est une ode aux miniers, aux travailleurs invétérés mais aussi aux scientifiques et aux progrès techniques quel qu'en soit le coût immédiat. Par ses descriptions vertigineuses, Liu Cixin nous plonge au coeur de l'enfer des feux de charbon. Entre fiction et réalité, cette nouvelle est bouleversante.

Je ne reviens pas sur Terre errante, novella que je n'avais pas appréciée plus que cela, l'auteur allant beaucoup trop loin, perdant de la crédibilité.

L'instituteur du village est un texte double, d'un côté un professeur d'un village reculé qui donne tout pour ses élèves, de l'autre une guerre spatio temporelle galactique. Les deux histoires parallèles se rejoignent pour un final improbable. On gardera l'émouvant récit de l'instituteur et l'accent mis sur la transmission du savoir. L'école comme source d'émancipation.

Avec Micro-âge, Liu Cixin aborde le thème de l'extinction de l'humanité, la solution apportée par l'auteur est encore une fois "démesurée", suivi de deux textes mineurs des variations autour des univers parallèles (Fibres) et du voyage temporel (Le destin). Ces deux textes sont assez décalés par rapport au reste du recueil.

Brouillage de toute la bande de fréquences, scène de guerre entre la Russie et l'OTAN ce texte militaire a une drôle de résonnance aujourd'hui. Pas le plus abouti, ni le moins confus.

Retour aux fondamentaux, la science emprunte de poésie, avec Le Messager, un joli texte physico-poétique autour de la célèbre équation E=mc². Dans Battements d'aile d'un papillon, la science au service de l'adage populaire pour une application surprenante. Un récit très émouvant, très humain.

Avec Le soleil de Chine, probablement l'une des meilleurs nouvelles, l'auteur voit grand, très grand. L'histoire d'un citoyen lambda qui tout doucement s'émancipe, apprend et devient le symbole de l'espoir et du rêve, le tout avec une touche d'humanité. Un texte qui fait rêver et qui émerveille. La Mer des rêves, à l'inverse du précédent, va trop loin, tombant dans l'excès. Liu Cixin est moins convaincant.

L'avant-dernière nouvelle, L'ère des anges, qui mixe biopunk et militaire est probablement le texte le plus dérangeant du recueil. Il nous met face à nos contradictions, à notre éthique et à nos principes bien établis. Liu Cixin appuie là où cela fait mal et interroge sur les manipulations génétiques et leurs conséquences. Glaçant.

Le dernier texte L'équateur d'Einstein, qui donne son nom au recueil et le conclut formidablement, est un hymne à la science et à la connaissance. Pour accéder à cette connaissance et à la vérité suprême, jusqu'où sommes-nous prêts à aller, quelles sont nos propres limites ? Jusqu'à la dernière ligne qui nous démontre que la Science sera toujours la plus forte. A noter que pour la seconde fois, Liu Cixin fait intervenir Stephen Hawking et Albert Einstein les deux grandes figures, les deux références scientifiques du XXème siècle.

Quand il mixe science et poésie ou quand il voit loin, très loin, Liu Cixin est à la quintessence de son art mais parfois son enthousiasme débordant le fait tomber dans l'excès, et ce fameux Sense of Wonder dont il est coutumier s'estompe devant tant d'incrédulités. Mais ne boudons pas notre plaisir, ce recueil est tout simplement indispensable aux amateurs d'imaginaires et aux amoureux de la SF vertigineuse. 




Commentaires

  1. Effectivement, tu as raison, quand il est en verve, Liu Cixin peut nous faire voyager très, très loin.

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    1. Et c'est bien d'avoir des auteurs non anglophones. Ca change et met de la perspective dans les récits.

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  2. Tu donnes envie de le lire ;)
    J'ai encore aujourd'hui un grand souvenir de la trilogie du Problème à Trois Corps, malgré ses défaut.
    Si ce recueil est du même niveau, il faut que je le lise !

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    1. Si tu as aimé la trilogie, tu ne devrais pas être dépaysée avec ces textes.

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