La Tour de Babylone - Ted Chiang

 
Un peu trop de Dieu...
Et une nouvelle exceptionnelle !

Entre 1991 et 2002, Ted Chiang, informaticien de métier, a écrit huit nouvelles, toutes regroupées dans ce présent recueil La Tour de Babylone publié dans la collection Lunes d'Encre des Editions Denoël. Entre 2007 et 2019, neuf nouveaux textes se sont vu ajouter à sa bibliographie, et rassemblés dans un second ouvrage Expiration. L'auteur n'est pas des plus prolifiques avec dix-sept textes en presque trente ans mais il est redoutablement efficace car ses nouvelles ont remporté pas moins de quatre Hugo, quatre Nébula et quatre Locus... pour ne citer que les prix les plus connus !

Ted Chiang est un adepte de la science-fiction philosophique et contemplative, très loin des stéréotypes du genre en la matière. Ici pas de grands effets ou d'actions tonitruantes mais place à une réflexion intime et au questionnement humain avec une place (un peu trop) prépondérante à la foi et tout ce qui s'y ramène. La quasi totalité de ses textes sont de longues nouvelles où il prend le temps de poser et de raconter ses histoires : l'art de la lenteur sans être ennuyeux.

L'évolution de la science humaine, écrit sous forme d'article dans lequel Ted Chiang développe une science métahumaine, est le seul titre à ne faire que quelques pages. Un récit assez obscur dont il est assez difficile de saisir la finalité.

La religion et la croyance restent plus ou moins présentes dans tous ces textes. Ils sont mêmes les sujets principaux dans L'enfer, quand Dieu n'est pas présent où un homme, à la mort de sa femme, s'interroge sur le principe même de la foi et du libre arbitre, et dans Soixante-douze lettres où l'auteur revisite le golem de la culture hébraïque à travers un récit Steampunk.

Deux autres textes ont une connotation Biopunk. Aimer ce que l'on voit et Comprends. Dans le premier, considérant que l'apparence a un fort impact sur le jugement que l'on peut se faire d'une personne, Ted Chiang développe un procédé qui annihile la perception du beau. A travers une série d'entretiens avec différentes personnes, il aborde les questions éthiques et sociales de ce procédé ainsi que leurs conséquences. Le second est dans la lignée des textes de Nancy Kress, où un homme ayant subi une mort cérébrale se voit injecter un produit pour le faire revenir à la vie. Les résultats dépassent les espérances des médecins, non seulement il retrouve une vie normale mais en plus ses facultés cognitives se développent au-delà de l'entendement, on quitte la papesse du Biopunk pour Greg Egan le roi de la Hard-SF Transhumaniste.

Mais Ted Chiang c'est aussi des concepts physiques et mathématiques. Dans la nouvelle Division par zéro, il entremêle histoire d'amour et démonstrations mathématiques où les recherches d'une jeune mathématicienne l'amènent à remettre en question les fondements des maths et par conséquent de sa vie. Avec La Tour de Babylone, il reprend le principe de la construction d'une tour qui atteindra les cieux. Un conte philosophique et poétique basé sur des principes physiques immuables. Une nouvelle vertigineuse qui n'est pas sans rappeler La Horde du Contrevent dans sa finalité.

Et pour finir, le bijou de ce recueil, une nouvelle autour de la linguistique (si chère à Frédéric Landragin) : L'Histoire de ta vie. Le récit d'un premier contact extraterrestre ou une linguiste nous explique comment elle aborde les premiers échanges avec des êtres très différents de nous dans leur forme, leur façon de pensée, leur langage et leur écriture. En parallèle, elle nous raconte sous forme de souvenirs, le futur de sa fille qu'elle n'a pas encore eue. Fascinant est le mot pour définir cette nouvelle dont l'imbrication des deux récits est une merveille de construction narrative et d'une intelligence rare. Cette nouvelle vaut à elle seule l'achat du recueil.
 
Ted Chiang, à l'image de Greg Egan et Nancy Kress (mais dans une moindre à mesure), manque parfois d'empathie et dépeint des personnages un peu trop froid. En contrepartie comme pour ses deux prédécesseurs, les idées novatrices, l'intelligence du propos et la qualité de la réflexion amènent un émerveillement continu.

A noter qu'en fin d'ouvrage, quelques notes explicatives sur l'origine de chacune des nouvelles apportent un petit plus.



Commentaires

  1. Pour une fois nous sommes d'accord (jusque sur la postface) : c'est bien voire très bien mais avec quelques défauts. Et "Expiration" est globalement meilleur. Non, vraiment, c'est fou, je ne me souviens pas de la dernière fois où on a eu un avis aussi proche. Il est vraiment fort ce Ted Chiang.

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    1. Expiration est un cran au dessus en effet. Sinon nous sommes souvent d'accord sur nos désaccords. :-)

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  2. Lu il y a longtemps. À l'époque, j'ai remplacé le G de son nom par un T. Des fulgurances, de vraies bonnes - et nombreuses - idées mais par contre un manque total d'intrigues et de personnages un peu colorés.
    La division par 0 m'avait quand même fait sourire.
    Et oui, L'histoire a ce supplément d'âme qui manque aux autres textes pour moi.

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    1. Les personnages sont souvent fades chez les auteurs Hard SF mais la vie est aussi faite de gens sans grands intérêts. lol

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  3. "L'histoire de ta vie" est le texte à l'origine du film Premier Contact (à voit si ce n'est pas déjà fait). :)

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    1. Le film est très bon mais la nouvelle a un petit truc en plus. Alors à lire et à voir. ;-)

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    2. Pour le coup, fait rare (je crois que ça ne m'est arrivé qu'avec 2001), j'ai préféré le film au roman. Mais il est toujours intéressant de se plonger dans les deux versions d'une œuvre, non seulement car cela peut donner deux résultats très différents, mais aussi pour le simple plaisir maniaque de relever les différences. :p

      Dans tous les cas, je suis heureux que tu recommandes ce recueil, il est sympa et je ne manque jamais de le recommander à mes clients.

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    3. Pour 2001 c'est la musique du film qui fait tout... ;-)

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  4. Plus je lis des avis sur ce recueil et plus je regrette de ne pas avoir réussi à l'apprécier. Je crains fort que mon allergie aux maths ne soit trop forte sur ce coup-là.

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    1. Comme remède : Greg Egan, après tout passera bien. lol

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