Expiration - Ted Chiang

Autour du libre arbitre

Ted Chiang est un auteur à part dans la sphère de l'imaginaire. En trente ans, il n'a écrit que dix-sept nouvelles. Les huit premières ont été rassemblées dans le recueil La tour de Babylone et les neufs suivantes dans ce présent livre Expiration. Ted Chiang n'est donc pas l'écrivain le plus prolifique mais cela ne l'empêche pas de truster toutes les distinctions de l'imaginaire. Il a reçu les prix Hugo, Nebula et Locus à quatre reprises chacun ainsi que d'autres récompenses comme le prix Bob Morane ou le Grand Prix de l'Imaginaire.... Mais l'auteur ne plaira pas à tout le monde, assez déshumanisé il explore les conséquences des avancées technologiques et dans ce sens se rapproche plus d'un Greg Egan que d'un Ken Liu, ses écrits étant emprunts d'une certaine froideur.

Les neuf textes composant ce recueil sont de longueurs très variables, de moins d'une dizaine de pages à presque cent cinquante pour Le cycle de vie des objets logiciels. C'est d'ailleurs cette novella qui m'a le moins enthousiasmé. Ted Chiang, informaticien de métier, nous expose le développement d'Intelligences Artificielles au sein de mondes virtuels tout en ayant des applications dans le monde réel. Ce texte assez conceptuel n'est pas facile à appréhender mais il est surtout marquant par son ton très clinique et des personnages assez stéréotypés. Omphalos est la seconde nouvelle qui m'a laissé de marbre. Une uchronie qui part du principe que toutes les découvertes scientifiques réalisées depuis la Renaissance confirment l'hypothèse créationniste. L'auteur s'amuse à démonter cette pensée en montrant que la science est toujours au-dessus de la foi. Si la conclusion est limpide, le cheminement pour y arriver l'est beaucoup moins.

Le libre arbitre a été effleuré dans les deux textes cités précédemment mais il est le sujet centrale d'autres nouvelles. Dans Ce qu'on attend de nous (titre on ne peut plus évocateur) l'auteur dresse un constat simple l'Homme a besoin de croire qu'il est maître de son destin, et la fin amusante voire caustique remet les pendules à l'heure. Une petite pastille très agréable. Avec L'angoisse est le vertige de la liberté, Ted Chiang nous entraîne dans les univers multiples. Chacun d'entre nous a la possibilité de communiquer avec ses autres-soi vivant dans des mondes parallèles et ainsi comparer ses choix puisque chacun est libre de faire ce qu'il veut. Certains profitent de cette technologie pour faire du business quand d'autres se sentent un peu perdus face à la responsabilité de leurs actions. La conclusion et le twist final sont de haute volée, le chemin pour y arriver est cependant un peu ardu. On quitte le libre arbitre (quoique) avec une nouvelle Steampunk La nurse automatique brevetée de Dacey où il est question d'éducation. Un mathématicien anglais du XIXème siècle, Reginald Dacey, construit une nourrice mécanique pour élever son fils de manière rationnelle : les nourrices traditionnelles étant trop sujettes aux émotions qui perturbent le garçonnet. Une éducation rationnelle donnera donc un enfant rationnel. L'automate est commercialisé mais les retours ne seront pas au rendez-vous. Critique de l'éducation stricte, Ted Chiang fait cependant place aux sentiments, enfin un peu d'humanité chez l'auteur.

Le Grand Silence est le récit le plus émouvant du recueil. En seulement quelques pages, Ted Chiang nous parle de l'humanité, d'écologie et de recherche extraterrestre. Il fait un parallèle surprenant entre l'extinction des perroquets et le Paradoxe de Fermi. Avec La vérité des faits, la vérité des émotions l'auteur s'attaque à la subjectivité de la mémoire, aux souvenirs et à la vérité/réalité des faits. Il met en parallèle l'arrivée de l'écriture au Niger en 1941 lors de la colonisation européenne et la mise en place, de nos jours, d'une nouvelle technologie permettant d'enregistrer et de restituer chaque instant de sa vie. Dans les deux cas ces changements posent de grandes questions éthiques. Passionnant !

Le premier texte du recueil Le marchand et la porte de l'alchimiste est un conte digne des mille et une nuits entrecroisé avec les paradoxes temporels. Fuwaad, un marchand, parcourt Bagdad à la recherche de nouvelles échoppes. Il entre dans celle de Bashaarat où de beaux objets sont entreposés mais la pièce maîtresse est une invention du maître des lieux qui permet de voyager dans le temps. Après avoir narré quelques histoires de personnes l'ayant utilisée, Bashaarat propose à Fuwaad de l'essayer... Là encore, il est question de libre arbitre et de causalité. Originale par son traitement, cette nouvelle est tout aussi excellente que surprenante.

Et pour finir, le texte qui donne son nom au recueil Expiration. Mélange de Steampunk et de Hard-SF, où un scientifique rédige une lettre expliquant comment il a disséqué son propre cerveau pour essayer de percer les secrets de sa mémoire. Nous sommes ici en présence d'êtres mécaniques, des automates fonctionnant à l'air comprimé, et l'opération purement technique va ouvrir un questionnement sur l'existence. Ce texte à la fois sombre et optimiste, ode à la vie est tout simplement magistral.

Pour conclure, Expiration est un grand cru et Ted Chiang d'une inventivité folle. Il nous interroge sur le monde dans lequel nous vivons, nos choix de vie. L'éthique et les nouvelles technologies au coeur de ses histoires avec en filigrane la possibilité (ou non) de choisir son chemin. A noter qu'en fin d'ouvrage, l'auteur replace ses écrits dans leur contexte, un petit plus loin d'être négligeable.



 

Commentaires

  1. L'avantage de Ted Chiang, c'est que c'est assez facile d'être à jour dans sa bibliographie. ^^
    Je pense que je n'accrocherai pas à tous les textes, comme dans le premier recueil, mais il y a l'air d'y avoir quelques pépites qui méritent de tenter la lecture.

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  2. Je suis d'accord, c'est un très bon recueil. J'en retiens principalement la première nouvelle, originale et touchante.

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    1. C'est un recueil à découvrir et un auteur à suivre...

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  3. Je trouve que Tes Chiang peut être un peu chiant à mon goût, mais je lirai tout de même ce recueil

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    1. C'est pas le plus fun mais il y a quand même un truc.

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  4. Les thématiques ont l'air super intéressantes et je suis sûre que le recueil est aussi chouette que tu le dis, mais après ma déconvenue sur La tour de Babylone, je passe mon tour ^^ Comme tu le dis si bien en début d'article, l'auteur ne plaît pas à tout le monde :)

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    1. Je n'avais pas aimé La tour de Babylone, là c'est beaucoup mieux !

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  5. Lecture prévue, forcément c'est des nouvelles ;p

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