L'incivilité des fantômes - Rivers Solomon

Une claque émotionnelle

Après les premières critiques  plutôt dithyrambiques sur la version originale, j'attendais avec impatience la publication en français de ce premier roman de Rivers Solomon, L'incivilité des fantômes.   

Une partie de l'humanité a embarqué sur l'immense vaisseau-arche Le Matilda composé de vingt-six ponts numérotés de A à Z. A la conquête de l'Eldorado, ces derniers migrants ont quitté la Terre dévastée à la recherche d'une planète pouvant les accueillir pour un nouveau départ. Le pitch est pratiquement un copier-coller de celui d'Aurora de Kim Stanley Robinson et c'est à peu près le seul point commun entre les deux romans. Deux traitements différents pour un même sujet. Le point fort essentiel autour duquel tourne tout le roman est la ségrégation qui s'est installée sur le vaisseau en fonction des ponts. Les Hauts-Pontiens sont les riches, blancs, hétérosexuels qui vivent dans l'opulence et le confort que les Bas-Pontiens ne connaîtront jamais. Ces derniers sont traités comme des esclaves, ils sont noirs et/ou homosexuels. Parmi eux, Aster, une personne transgenre, noire, autiste qui essaye de découvrir pourquoi et comment sa mère est morte 25 ans plus tôt.

Je n'ai quasiment trouvé que des défauts à ce roman... et une seule qualité qui rend à elle seule cette lecture indispensable.

Tout d'abord l'intrigue principale (et la seule d'ailleurs !) qui tient en deux lignes. Aster cherche à comprendre ce qui est arrivé à sa mère vingt-cinq ans plus tôt et trouver le lien avec les évènements qui se passent aujourd'hui sur le vaisseau arche. C'est très léger et les réponses sont à la hauteur des questions, pauvres et improbables !

Ensuite c'est le rythme général du roman qui pose problème, il est très inégal. Le premier tiers se dévore, ensuite ça s’enlise, ça se répète, ça se perd. On retrouve dans les dernières pages la verve du début, cette pression qui prend à la gorge. Une certaine fulgurance réanime  de temps en temps le lecteur, en particulier quand la parole revient à trois autres protagonistes Théo, Mélusine, Gisèle. Mais juste le temps d’un chapitre chacun, vraiment trop peu pour pouvoir développer pleinement ces écorchés vifs et c'est bien dommage !

Et pour finir le manque de crédibilité scientifique plombe le récit. Je veux bien que le vaisseau-arche ne soit qu'un prétexte mais l'existence même du vaisseau tient du miracle. Je ne sais pas si le fait d'avoir lu Aurora il y a quelque temps a faussé mon jugement.

Le propos est ailleurs et ce roman est une gigantesque claque émotionnelle. Ça retourne les tripes. La violence insidieuse, banalisée fait mouche. La souffrance physique et/ou psychologique présente à chaque page marque les esprits. Tout est source de désolation dans cette immense arche qui se révèle être bien petite pour les opprimés. La différence comme moteur de haine. L'autrice ne tombe jamais dans la facilité ni dans le larmoyant, elle relate une cruelle et froide réalité. Le racisme social, ethnique, religieux et sexuel au centre du récit, au coeur de la vie.  C’est le point fort, l’âme du livre.

Loin des clichés, L'incivilité des fantômes n'est que le reflet de notre monde avec une visibilité accrue du fait de l’espace réduit et de la conception du vaisseau. Une réussite qui, à elle seule, vaut la lecture de ce roman.


Des avis encore plus enthousiastes chez Just a Word, Feyd Rautha et Lune

Commentaires

  1. Je suis complètement d'accord avec toi. Du point de vue purement SF, c'est bourré de défauts, et pourtant c'est une sacrée claque.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est là que je vois que je préfère quand même une bonne assise scientifique et des personnages moins étoffés... ;-)

      Supprimer
  2. Un roman qui me tente mais dont j'appréhende la lecture... Ta chronique confirme mon ressenti, à voir ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ça se lit bien, ça coule tout seul, on est transporté par l'histoire d'Aster

      Supprimer
  3. Ça doit vraiment être quelque chose pour faire pencher la balance à ce point. Ça sera du coup assurément lu à l'occasion, en espérant passer outre les défauts moi aussi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ca sonne tellement vrai (malheureusement) que cela en est glaçant !

      Supprimer
  4. Cela ne m'étonne guère ce côté SF à la ramasse, l'éditeur faisant souvent le choix de romans atypiques.
    Je pense le lire le jour où il sortira en numérique.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Moi aussi j'attendais la sortie numérique, ma médiathèque a été plus rapide donc encore une vente de perdue pour l'éditeur. Dommage !

      Supprimer
  5. J'appréhende ce roman autant qu'il m'intrigue. Je vais le noter dans ma wishlist pour voir si d'ici quelques temps il m'inspire plus ^^

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah bah il y était déjà en fait xD

      Supprimer
    2. Il faut le lire même avec toutes mes réserves, il faut le lire ! ;-)

      Supprimer
  6. Je comprends les raisons pour lesquelles tu le conseilles mais je m'arrête à la longue liste des défauts. Pas pour moi. En tout cas pas pour l'instant.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire