Bifrost 113 : Intelligence Artificielle

 

Rares sont les numéros de Bifrost à ne pas être consacrés à une autrice ou à un auteur de l'imaginaire, c'est le cas de cet opus 113 spécialement dédié à l'Intelligence Artificielle (qui pourraient être les grandes autrices de demain !).

Après un édito consensuel et plutôt sage, le lectorat plonge directement au coeur du sujet avec quatre nouvelles autour des IA et des problématiques qu'elles peuvent ou pourraient engendrer. Quatre axes, quatre points de vue différents pour quatre instants de plaisir.

  • Le charme discret de la Machine de Turing - Greg Egan
Les nouvelles de Greg Egan font toujours un peu peur (ses novellas et ses romans aussi !). L'auteur australien n'est pas réputé pour être un auteur facile et accessible mais parfois certains de ses textes sont très classiques, compréhensibles par tous. C'est le cas ici où il met en scène un américain moyen se retrouvant au chômage quand son poste est remplacé par une intelligence artificielle. Malgré de nombreuses recherches, Dan ne retrouve pas d'emploi et se rend compte qu'il est loin d'être le seul dans ce cas, le problème touchant tout le monde quel que soit le boulot, ce qui enclenche un cercle vicieux entre la production et la consommation.

Greg Egan fait mouche avec ce texte, d'autant plus qu'il ne s'arrête pas au simple remplacement de l'Homme par la Machine mais amène une réflexion plus profonde sur nos sociétés. Encore une fois, il démontre qu'il est un grand auteur, un visionnaire (le texte original a été publié en 2017), un homme en avance sur son temps.

  • Renaissance - Jean-Marc Ligny
Auteur français très prolifique qui, à l'instar de Thierry Di Rollo, n'est pas connu pour son optimisme foudroyant mais reconnu pour son éco-sensibilité et ses prises de positions tranchées. Avec Renaissance, Jean-Marc Ligny revient dans son univers des Ages Sombres, qu'il avait déjà abordé dans un précédent numéro de la revue et qu'il a développé dans un recueil publié chez l'Atalante.

Un homme raconte son histoire, sa vie passée dans la Cité Renaissance, ville autosuffisante entièrement contrôlée par des IA et construite plusieurs décennies auparavant par quelques richissimes Hommes de l'ancien monde, avant l'effondrement et l'avènement des Ages Sombres, et son départ de celle-ci.

Dans cette court nouvelle, l'auteur aborde la dépendance extrême aux IA quand l'homme n'a plus aucun but, aucun objectif. Tout étant réalisé par les machines, il est un spectateur de sa propre vie. Optimiste ou pessimiste ce récit peut se lire de deux façons différentes. Encore une fois un magnifique texte de l'auteur.

  • Rêve Ville - Thierry Di Rollo
L'auteur se fait trop rare selon l'équipe du Bélial et quand un texte, même très court arrive, c'est l'effervescence. Rêve Ville c'est cinq petites pages intenses et sombres dans la lignée des écrits de Thierry Di Rollo. Il faut beaucoup de talent pour emporter le lectorat en si peu de mots, pour arriver à dresser tout un univers, décrire une scène de vie et terminer sur une chute bien que prévisible mais terriblement caustique. Sans être un grand fan de l'auteur, je m'incline devant l'exercice présenté ici : du grand art !

  • Rayée - Audrey Pleynet
On ne présente plus Audrey Pleynet qui s'impose petit à petit dans le paysage imaginaire français. Rayée est la deuxième nouvelle de l'autrice à être publiée dans les pages de Bifrost après l'excellente Encore cinq ans.

Dans un monde post-apocalyptique où l'Homme a régressé depuis qu'il a décidé de détruire toutes traces d'Intelligences Artificielles, leur reprochant de ne pas avoir su le guérir d'un mal étrange qui lui fait perdre plusieurs pans de son "humanité". Chacune de ces pertes est symbolisée par une lettre tatouée sur l'avant-bras de chaque individu, et chaque fois qu'une de ses qualités disparait, la lettre est rayée. Agathe, une ancienne informaticienne, espère ne pas oublier cette humanité grâce à la puissance créative d'une petite machine qui a échappé à la destruction. C'est à travers son récit que l'on découvre la fin d'un monde...

Encore une fois, Audrey Pleynet arrive à nous bluffer par son originalité, son univers foisonnant et le questionnement qu'elle apporte en si peu de pages. Intense, sombre et poétique, ce texte confirme tout le talent de l'autrice.



S'ensuit le traditionnel cahier des critiques qui confirme ce que je disais le trimestre dernier, la Science-Fiction (re)devient le parent pauvre de l'Imaginaire, il n'y a pas pléthore de titres et ceux publiés, à quelques exceptions près, ne sont pas si enthousiasmants que cela.

Avant de passer au dossier "Intelligence Artificielle", la parole est donnée à l'Illustratrice Saralisa Pegorier qui a dessiné la couverture du Bifrost consacré à Anne Rice.

Le dossier spécial Intelligence Artificielle commence par deux rétrospectives de sa présence dans la littérature grâce à Pierre-Paul Durastanti et sur les différents écrans d'après Nicolas Martin. Deux articles complémentaires et très intéressants. Mais ce sont les quatre interviews menées par Eric Jentile qui permettent de comprendre toute la difficulté d'arriver à un consensus sur le sujet. Les illustrateurs Nicolas Fructus et Marc Simonetti, le fondateur de Clarkesworld Neil Clarke et l'écrivain chinois Chen Qiufan nous parlent de leur rapport à l'IA, de l'utilisation qu'ils en font (ou pas), des dérives et des dangers inhérents à leurs proliférations et de leurs capacités grandissantes. Quatre approches différentes, contradictoires et complémentaires à la fois. Passionnant ! On retrouve ensuite avec plaisir Frédéric Landragin, qui avait déjà abordé le sujet dans son essai publié dans la collection Parallaxe Comment parle un Robot, et qui à travers deux IA célèbres C3PO de Star Wars et le T-800 de Terminator, nous explique le fonctionnement et les limites de ces IA. Le dossier se termine par la présentation d'une dizaine d'ouvrages incontournables sur le sujet, et cerise sur le gâteau, par un court article d'Ada Palmer plein d'optimisme et d'espoir qui va à contre-courant de la pensée dominante. Une lumière dans la nuit...

La revue se termine par le traditionnel Scientifiction, quelques infos du monde de l'Imaginaire, les résultats du prix des lecteurs Bifrost 2023 et la fameuse page finale.

Un numéro 113 de toute beauté qui nous informe, nous éclaire et nous interroge. 


Chez la Yozone,


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