Vision Aveugle - Peter Watts

 
Un cas de conscience

Peter Watts fait partie de ces écrivains qui ne prennent pas leur lectorat pour des idiots. Ils considèrent que celui-ci est assez intelligent pour comprendre ce qu'on lui propose et qu'il n'est pas nécessaire de le prendre par la main et de tout expliciter. A l'instar de Greg Egan, Peter Watts pousse parfois le bouchon un peu loin en nous jetant son univers à la figure, nous laissant nous débrouiller par nous-mêmes. Il faut alors piocher les infos ici ou là, appréhender les concepts exotiques, essayer de relier l'ensemble pour former un tout cohérent mais avec un minimum de persévérance et de concentration, la patience sera récompensée. Cependant il écrit aussi des textes très accessibles comme Eriophora par exemple.

Vision Aveugle fait donc partie de ces livres supposés inaccessibles, difficiles à lire et encore plus à comprendre, ces romans abscons et élitistes. Peter Watts, le reconnait lui-même. Dans la préface qu'il a écrite spécialement pour l'édition du Bélial, il mentionne à propos de Vision Aveugle que "certains le considèrent comme une des œuvres phares de la SF du nouveau siècle, d’autres y voient une ennuyeuse merde didactique qui se donne l’air important avec des tartines de références scientifiques". Il trouve même ces critiques fondées et ajoute que "Ce n’est pas un livre que tout le monde appréciera mais que ceux qui l’ont aimé l’ont beaucoup aimé."

Outre la préface de l'auteur, la présente édition du Bélial est augmentée Des Dieux Insectes une nouvelle d'une dizaine de pages se déroulant dans l'univers de Vision Aveugle ainsi que de longues notes et références qui permettent de comprendre et d'éclaircir nombre de concepts distribués dans le roman. Une mine d'or qui montre tout le talent, l'ingéniosité et la folie de Peter Watts.

Mais revenons au roman proprement dit. Vision Aveugle est l'histoire d'un premier contact qui aborde une multitude de thèmes riches et novateurs à travers des personnages plus qu'écorchés par la vie. Ecoutez plutôt. Le narrateur, Siri Keeton, dont le niveau d'empathie est nul depuis qu'on lui a ôté une moitié de son cerveau, est l'observateur de la mission. Amanda Bates, la militaire "pacifiste", est en charge de la sécurité du vaisseau et de son équipage. Isaac Szpindel, le biologiste de l'équipe, étudiera les aliens si la rencontre a lieu, pour cela il a délaissé une partie de son humanité pour s'accoupler à des machines et être plus performant. Susan James, la linguiste du vaisseau, se consacrera pleinement au premier contact et à la communication avec les entités extraterrestres. Elle sera secondée par d'autres personnalités avec qui elle partage son cerveau. Et enfin le responsable de la mission Jukka, un homo vampiris, une sous-espèce d'homo sapiens, dont l'intelligence est décuplée par rapport à celle de ses compatriotes. Tout ce petit monde se retrouve à bord du Thésée sous la coupe d'une IA quantique, direction l'espace profond à la rencontre d'une vie extraterrestre...

Grâce à ce premier contact hors du commun, Peter Watts nous offre un huis clos spatial transhumaniste doublé d'une réflexion sur la vie. A partir d'une entité extraterrestre si différente de nos standards, il nous interroge sur la notion du vivant, faut-il que ce soit organique, qu'est-ce qui différencie le vivant de la machine, faut-il une conscience et/ou une intelligence derrière ? Ces deux notions sont-elles imbriquées l'une dans l'autre, ou peuvent-elles exister l'une sans l'autre... De fil en aiguille en s'intéressant à ce qui est autre, Peter Watts nous questionne sur notre humanité, notre évolution et notre place au sein de l'univers...

Vision Aveugle est un monument de la Hard-Science, une lecture indispensable à tous les amoureux des Sciences de la Science-Fiction en général. Ce roman exceptionnel servi par une plume acérée dans une ambiance très sombre parfois même terrifiante, porté par une galerie de personnages époustouflants est certes exigeant mais il est diablement intelligent. Il faut aussi reconnaitre que même si certains concepts abscons s'éclaircissent au fur et à mesure de la lecture, il restera une certaine part d'ombre selon le degré d'engagement, de connaissance et de résilience propre à chacun. Cela n'enlève rien au récit, bien au contraire : rares sont les romans qui semblent vous rendre plus intelligents, faut-il juste en avoir conscience !


Pour aller plus loin, je vous conseille la chronique d'Apophis qui permet elle aussi de comprendre quelques notions qui auraient pu échapper au cours de la lecture. 

En novembre 2023, Echopraxie, la suite de Vision Aveugle sera également republiée au Bélial. Il va sans dire que je serai de la partie.





Commentaires

  1. "une ambiance très sombre parfois même terrifiante" : c'est marrant, ce n'est pourtant pas ce qui apparaît comme le plus terrifiant avec ce livre. 😅
    Il est dans un coin de mon esprit comme un livre à essayer, mais j'avais sûrement préféré oublier qu'il était aussi ardu.

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    1. J'ai attendu plus de 2 ans avant de me lancer et je ne le regrette pas. Après il faut se laisser porter et accepter de ne pas tout saisir (ce n'est ni la première, ni la dernière ;-) ). C'est une belle expérience.

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